Les agents du nettoyage sont exposés à des situations de travail «difficilement soutenables», alerte l'Anses

Rédigé le 14/11/2025
mbarry

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Le 13 novembre, l’Anses (agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a publié un rapport sur « l’analyse des conditions de travail des agents du nettoyage et de leurs impacts sur leur santé » conduite entre 2021 et 2024 (en pièce jointe). En 2019, l’agence s’était autosaisie pour évaluer les risques professionnels et leurs impacts sur la santé des travailleurs de ce secteur. Résultat : les agents du nettoyage sont exposés à des situations de travail « difficilement soutenables ».

L'Anses résume : « Le groupe de travail insiste sur la dimension systémique des facteurs de risques auxquels sont exposés les agents du nettoyage : les spécificités du contexte (population, organisation économique et juridique), les facteurs de risque propres à l’activité ou à son modèle organisationnel dominant (le recours à la sous-traitance) et les difficultés à mettre en œuvre des mesures de prévention alimentent un cercle vicieux particulièrement préjudiciable à la santé d’un groupe de travailleurs vulnérables et nombreux ».

Cette expertise porte uniquement sur les locaux à pollution non-spécifique (bureaux ou halls d’immeubles par exemple), mais cela permet de « considérer la majorité des agents du nettoyage », estime l'Anses.

Temps partiel, précarité et sous-traitance 

Les auteurs estiment que la population des agents du nettoyage est comprise entre 1,2 et 1,4 million de salariés en France (soit près de 5 % de l’emploi salarié), avec une majorité de femmes (73,5 %) et une forte part de travailleurs immigrés (20 %). La précarité, le temps partiel, et les bas salaires sont fréquents. Les auteurs distinguent trois catégories d'emploi  : 

  • 600 000 emplois environ (soit entre 43 % et 50 % de l’ensemble) dans le secteur public (établissements scolaires, médico-sociaux, etc.) ; 
  • 350 000 emplois environ (25 % à 29 %) au sein d’entreprises exerçant d’autres activités à titre principal (hôtellerie restauration, secteur médico-social privé, commerces, industries, etc.) ; 
  • 500 000 emplois (soit 36 % à 42 %) relevant des entreprises prestataires de propreté (dont 150 000 n’effectuant que de faibles volumes de travail annuels). 

La part des salariés externalisés est passée de 18 % du total des emplois du nettoyage en 1982 à plus de 35 % en 2020 (et de 23 % à 65 % des emplois pour le secteur privé). Cette fréquence de la sous-traitance induit « un besoin accru de surveillance qui devrait se traduire, aux yeux du législateur, par une obligation de vigilance à la charge des donneurs d’ordre » et un besoin de coopération entre les donneurs d'ordre et les entreprises de nettoyage, estiment les auteurs. De même, le suivi médical des agents de nettoyage « est rendu complexe du fait même de leur activité, souvent multi-sites, fréquemment multi-employeurs et dépendant ainsi de plusieurs services de santé au travail ». 

Cumul de multiples risques 

Les travailleurs de ce secteur sont exposés à de multiples risques, dont une première catégorie qui est directement liée à l'activité de nettoyage en elle-même l’intensité physique du travail (avec une prévalence de TMS largement documentée) et une exposition aux produits chimiques. Pour ce dernier, les auteurs notent « un niveau de preuve élevé d’un impact du travail de nettoyage sur l’asthme (en lien avec l’exposition aux produits de nettoyage et de désinfection, dont des agents sensibilisants et des agents irritants, en particulier quand les produits sont utilisés sous forme de sprays) et les dermatites ». L'impact du travail de nettoyage sur les autres pathologies nécessiteraient davantage d'études, selon l'Anses.

Concernant le risque chimique, l’Anses déplore que « les fiches de données de sécurité (FDS) des produits de nettoyage utilisés sont parfois incomplètes ou inexactes et ne mentionnent pas toujours l’ensemble des substances contenues ». De quoi freiner la mise en oeuvre d'actions de prévention pertinentes sur le risque chimique. Les agents du nettoyage connaissent par ailleurs une surexposition au risque routier et aux agents biologiques. 

Réaliser un "sale boulot" provoque une forme d’invisibilisation du travail, une assimilation à des tâches ingrates et parfois une situation d’infériorisation

Seconde catégorie de risques : ceux liés aux organisations de travail. Notons d'abord que les risques liés à l'activité en elle-même et aux organisations de travail sont liés. « L’intrication entre les risques liés à l’activité physique, les facteurs organisationnels et les dimensions psychologiques et sociales des activités de nettoyage est soulignée dans la littérature et a été relevée lors des auditions », précisent les auteurs. Ils relèvent la nature des temps de travail, la régulation des cadences de travail, les situations d’isolement, l’existence de rapports sociaux inégalitaires (en termes de revenus ou de statuts sociaux) et l’insécurité de la relation d’emploi comme étant les principales problématiques liées à l’organisation du travail. Lesquelles sont davantage marquées lorsque l’activité est externalisée.

Dans le détail, les horaires fragmentés et atypiques sont notamment à l’origine de « dysrythmies alimentaires, d’une augmentation des risques cardiovasculaires et, enfin, de troubles nerveux pouvant aller de la simple irritabilité jusqu’à des états dépressifs ». Quasiment tous les facteurs de RPS (risques psychosociaux) sont présents :  

  • l’intensité et le temps de travail, le manque d’autonomie et de marge de manœuvre ; 
  • les rapports sociaux et la reconnaissance au travail : « La position sociale des travailleurs du nettoyage en charge de réaliser un "sale boulot" est marquée par trois difficultés : une forme d’invisibilisation du travail, une assimilation à des tâches ingrates et parfois une situation d’infériorisation. » ; 
  • les conflits de valeur : « L’intensification contribue également à la dégradation du sens du travail par des difficultés à "bien faire" son travail et impose aux agents des compromis entre qualité du travail et efficacité. » 
  • et l’insécurité de l’emploi. 

Notons enfin un contexte de travail isolé qui peut être « à l’origine d’accidents graves ou de troubles psychosociaux dans un contexte de faible soutien social pour les agents du nettoyage » et qui « rend difficile l’activité syndicale et les échanges socioprofessionnels ». 

Un état de santé déclaré plus « mauvais » que celui des ouvriers 

Cette poly-exposition se traduit par une sinistralité élevée avec notamment : 

  • une fréquence et une gravité pour les accidents du travail plus importantes que pour la moyenne de l’ensemble des salariés ; 
  • un taux de travailleurs ayant une maladie professionnelle reconnue deux fois plus élevé que chez l’ensemble des salariés ; 
  • des licenciements pour inaptitude près de deux fois plus fréquents dans cette population que pour l’ensemble des CDI ; 
  • une prévalence élevée de TMS (notamment lombalgies, pathologies au niveau des épaules, canal carpien et genoux) ; 
  • une forte proportion de maladies respiratoires et dermatologiques, et de problèmes de santé mentale. 

Ainsi, cette population est caractérisée par « un état de santé déclaré apparaissant plus mauvais que la moyenne des salariés ou que celle des seuls employés et ouvriers, qui engendre un risque accru de perte d’emploi et de désinsertion professionnelle pour inaptitude », souligne l'Anses.

Quelles recommandations ? 

Face à ces constats, l’agence recommande notamment de : 

  • faire évoluer les modalités d’organisation des temps de travail pour avoir des activités de nettoyage en journée ; 
  • faciliter l’accès des agents du nettoyage aux dispositifs de prévention, notamment par le biais de formations qui doivent être adaptées aux spécificités de la population concernée ; 
  • mettre en œuvre des actions de prévention spécifiques pour les TMS.

Pour les activités externalisées, l'agence préconise notamment de :

  • rappeler l’obligation de vigilance du donneur d’ordre en matière de respect de la législation du travail ; 
  • renforcer les responsabilités des donneurs d’ordre dans la prévention des atteintes à la santé (s’inspirer du dispositif pour le travail temporaire, dans lequel l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail et notamment les dispositions sur la durée du travail, les repos et la santé et la sécurité au travail par exemple) ; 
  • encourager les instances de dialogue des donneurs d’ordre à intégrer les activités sous-traitées pour les aspects liés à la santé au travail ; 
  • étudier la possibilité d’une évolution des modalités de calcul des taux de cotisations AT/MP, afin d’en répartir le coût entre prestataires et donneurs d’ordre de façon similaire au secteur de l’intérim.
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Signature: 
Clémence Andrieu
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Horaires fragmentés, travail physique intense, produits chimiques... Invisibilisés et souvent en situation de précarité, les travailleurs du secteur du nettoyage sont exposés à de multiples risques professionnels « insuffisamment évalués et pris en compte », avertit l'agence dans un rapport alarmant. Les mesures de prévention dans le secteur seraient par ailleurs « insuffisantes et/ou inadaptées ». L'agence livre de nombreuses recommandations.
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