PDP : l’achèvement semé d’embuches du futur indice national de détection du risque

Rédigé le 10/12/2025
mbarry

A la une

L’indice national de risque de désinsertion professionnelle – sur lequel planche actuellement une équipe de recherche de l’Inserm rattachée au CHU d’Angers sous l’égide de l’association Presanse – embrasse de facto la plupart des freins et leviers à la PDP identifiés par l’inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport mis en ligne le 4 décembre.

Alors que plusieurs indices de risque de désinsertion professionnelle (IRDP) se développent « en ordre dispersé » dans les SPSTI et que l’Assurance maladie établit sa propre nomenclature et affine le ciblage des arrêts de travail susceptibles de conduire à un risque de désinsertion, l’Igas plébiscite la venue d’un indice harmonisé « à la fois nécessaire et souhaitable ». Résultats espérés : faciliter le suivi du parcours individuel en cas de changement de SPST, garantir une égalité de traitement entre les travailleurs, construire des actions de prévention primaires adaptées à un territoire ou à une activité économique et disposer de données comparables au niveau national.

Or, « l’équation robuste de prédiction du risque de désinsertion » qui pourrait être livrée fin 2026 par l’Inserm ne répond pas de fait aux questions soulevées par la généralisation d’un IRDP national. Laquelle ne pourrait advenir sans action réglementaire et sans achever (enfin) plusieurs chantiers.

Manque d’interopérabilité et de coordination

« La construction d’un indice national et le chantier plus global d’interopérabilité entre logiciels sont étroitement liés », souligne d’emblée l’Igas, qui note que « l’adaptation des logiciels pour intégrer l’IRDP constitue un préalable indispensable à la diffusion de l’indice ». Un chantier lancé par la loi santé au travail de 2021 qui, quatre ans plus tard, « va prendre du temps et doit être lancée sans attendre », écrit la mission.

Elle recommande ainsi de mobiliser l’Agence du numérique en santé (ANS), de lancer des travaux avant la fin de l’année, de mettre en place des incitations financières à destination des éditeurs de logiciels et de les sensibiliser au niveau national « pour accélérer l’évolution de leurs outils ». L’Igas propose aussi que les non-conformités relevées sur les logiciels deviennent un motif de refus de certification des SPSTI dès 2026. « Les premiers retours dont dispose la mission font apparaître l’état d’avancement des logiciels comme un point de faiblesse marqué dans certains services », peut-on lire.

L’utilisation de l’INS est encore très minoritaire alors même qu’il s’agit d’un prérequis majeur pour mettre en oeuvre l’interopérabilité

Outre l’interopérabilité des systèmes d’information (SI) des SPST, se pose aussi la question de celle des SI des acteurs du réseau (Assurance maladie, Cap emploi, etc.). L’idée étant qu’à terme, « une étape supplémentaire serait le partage de l’indice non seulement entre SPST mais entre les SPST et d’autres acteurs du parcours de PDP ». Ce qui supposerait une meilleure coordination des acteurs de la PDP : l’Igas émet plusieurs recommandations à cet égard, notamment de tester un « logigramme de répartition des rôles […] construit autour du parcours du salarié ». Ou de vérifier « les messageries génériques permettant aux SPST de contacter le service médical de l’assurance maladie »… En tous les cas, « le projet d’indice de détection paraît susciter l’intérêt de partenaires des SPST », note l’inspection.

Concernant les échanges entre l’Assurance maladie et les SPST, l’Igas souligne que la transmission des arrêts de travail en cas de risque de DP prévue par la loi de 2021 est « à la peine ». L’inspection appelle à ce que cette mesure (article 19) soit effective au plus tard début 2027. D’autant que « les arrêts maladie sont potentiellement un élément essentiel d’un indice de risque du fait de leur caractère prédictif du risque de désinsertion ». L’Igas recommande également d’ouvrir certaines données de DEMETER (entrepôt de données sur le parcours de l’assuré partagé entre les Carsat, les Cpam et le service médical) aux SPSTI.  

D’une manière générale, l’inspection déplore que « l’utilisation de l’INS [identité national de santé] par les professionnels des SPST [soit] encore trop limité ». Alors « qu’il s’agit d’un prérequis majeur pour mettre en oeuvre l’interopérabilité entre logiciels des SPST mais aussi les échanges de données avec les acteurs externes ». Et regrette que le lien entre DMST (dossier médical en santé au travail) et DMP (dossier médical partagé) ne soit pas « encore opérationnel » (lire notre article) et que le DMST informatisé ne soit pas « encore systématisé ». Un problème pour le futur IRDP harmonisé exclusivement fondé sur les données figurant dans les DMST. Lesquelles dépendent d’une qualité de saisie dont la fiabilité fait encore défaut, selon l’inspection.

► Lire aussi :

« Absence de réflexion approfondie sur les usages »

L’usage de l’indice national est ensuite à clarifier, intime l’Igas. Car il irrite. D’abord, il ne peut être imposé aux SPST sans une « action règlementaire se traduisant, par exemple, par une évolution du référentiel national de certification des services », rappelle la mission (Presanse n’ayant pas « de fonction de tête de réseau »). Ainsi, un « travail de conviction sera […] indispensable ». Or, seulement 55 % des SPST interrogés par l’Igas considèrent qu’il serait utile. L’inspection rapporte que certains services « craignent un "carcan national" » et considèrent l’IRDP national comme « l’outil des directeurs […] et non celui des médecins du travail ». Des prescripteurs estimeraient par ailleurs que sa fonction est déjà remplie par « l’expérience du professionnel de terrain ».

Une vision propre à l’employeur

Des critiques émanent également des partenaires sociaux. Les organisations syndicales expriment « leurs réticences sur un indice porté par l’association Presanse, qui risque à leurs yeux d’être marqué par une vision propre à l’employeur », rapporte l’Igas. Certaines appellent à une construction paritaire. Quand les organisations patronales peuvent craindre que « le calcul des indices conduise à identifier des secteurs déjà bien connus pour les risques professionnels associés, voire à stigmatiser les entreprises de ces secteurs ». Se pose ainsi la question de l’usage individuelle et/ou collectif de l’indice : sert-il à détecter des situations individuelles ou des entreprises ?

Déplorant « l’absence de réflexion approfondie sur les usages qui pourront être associés à l’IRDP national », l’inspection appelle à saisir la société française de santé au travail pour construire un avis sur les composantes d’un IRDP national, ses usages individuels et collectifs et les garanties quant à son utilisation. Le CNPST (Comité national de prévention et de santé au travail) serait informé de l’avancée de ces travaux.

► Lire aussi :

« Impliquer davantage l’entreprise »

L’IRDP national achoppe également sur sa « dimension médicale et individuelle très affirmée », selon plusieurs SPSTI et universitaires interrogés par la mission. Un parti pris qui laisse « peu de place au rôle de l’employeur dans la prévention du risque ». « Le choix de faire dépendre l’indice de paramètres figurant au DMST expose nécessairement à des résultats partiels car les salariés ne donnent pas l’ensemble des informations sur leur état de santé à leur médecin du travail », ajoute la mission, qui souligne aussi que « l’IRDP ne comporte pas de paramètres déterminants portant sur les conditions de travail ».  

 Il faut éviter que le calcul d’indices de risque de désinsertion alimente un manque d’engagement des entreprises dans la prévention

Un problème que d’autres outils ont su résoudre, selon l’Igas, qui cite l’Apptiv construit par le SPSTI de Perpignan (PST 66). « Apptiv passe par l’administration de questionnaires qui visent à faire évaluer le risque de désinsertion professionnelle à la fois par l’entreprise, le SPST et le salarié, explique l’inspection. […] Le remplissage du questionnaire permet de générer le DUERP. Ainsi, la démarche ne conduit ni à une équation ni à un indice, mais doit déboucher sur des actions à entreprendre par l’entreprise ou par le SPSTI à destination des salariés concernés. »

« Ce type d’outil illustre le fait que la détection précoce du risque de désinsertion ne peut pas se fonder uniquement sur un diagnostic individuel portant sur le salarié, qu’il s’agisse d’un questionnaire ou d’un indice construit à partir du DMST, mais doit reposer également sur l’entreprise, insiste l’Igas. […] Il faut éviter que le calcul d’indices de risque de désinsertion alimente un manque d’engagement des entreprises dans la prévention du risque de désinsertion en renforçant la vision de ce risque comme avant tout individuel. » La mission appelle d’une manière générale à « impliquer davantage les entreprises dans les actions de PDP ». Elle note d’ailleurs que les rendez-vous de liaison ou les visites de reprise « sont encore trop peu connus des employeurs ».

Pour ce faire, la mission appelle à ce que le risque de désinsertion soit « systématiquement » intégré dans les outils d’évaluation des risques proposés aux employeurs pour qu’ils puissent « préparer leur DUERP ». L’Igas convie aussi les employeurs à transmettre de façon « systématique » à leur SPSTI les arrêts de travail de plus de trente jours et à envoyer à leurs salariés en arrêt de travail, une information sur les dispositifs de maintien en emploi auxquels ils peuvent avoir recours.

Concernant l’IRDP national, l’inspection recommande d’intégrer, en sus des données des DMST, « des données issues du dossier médical en santé au travail, des informations issues d’auto-questionnaires remplis par le salarié et une évaluation du risque de désinsertion professionnelle dans l’entreprise intégrant le point de vue de l’employeur ».

Quid du suivi en aval des salariés ?

« Si la détection précoce constitue un objectif légitime des politiques de PDP [comme le prouve l’attention portée à l’IRDP, ndlr], elle ne doit pas faire passer au second plan l’impératif de progresser sur le suivi des résultats de la PDP », rappelle l’Igas. Or, « ni les SPSTI ni l’Assurance maladie ne sont suffisamment investis dans le suivi ex post des salariés qu’ils ont accompagnés dans le cadre de la PDP », estime l’inspection, qui appelle à généraliser un suivi à 6 mois ou un an pour « remobiliser des salariés perdus de vue » et « progresser dans la mesure de la performance de la politique de PDP ».

Le suivi du parcours de PDP représente ainsi un trou dans la raquette que l’interopérabilité des SI ne saurait solutionner, pointe l'Igas. Si cette dernière « n’a pas vocation à se prononcer sur la pertinence d’une solution commerciale », elle loue avec peu de réserve l’application Sam-i développée en Île de France. Elle permet aux acteurs de la PDP (SPST, Assurance maladie, Cap emploi, etc.) qui le souhaitent de « suivre en temps réel l’avancement du projet de retour dans l’emploi » d’un salarié, explique-t-elle. Un « carnet de bord numérique » qui ne séduirait que peu l’Assurance maladie, réticente à ce que ses agents remplissent « un outil externe […] en plus de ses propres outils métiers ».  

Notons enfin que dans son souci de « mesure de performance de la politique de PDP », la mission préconise le lancement d’une étude nationale sur les inaptitudes (suivi quantitatif, pertinence du cadre juridique et organisationnel, trajectoire des salariés concernés, stratégie des salariés et des employeurs, rôle des médecins du travail et des cellules de PDP). Selon l'inspection, 40 % des décisions d’inaptitude sont aujourd’hui prononcées avec dispense de reclassement.

Visuel réduit: 
Visibilite: 
privé
Signature: 
Matthieu Barry
Supports de diffusion: 
S’il présente de «multiples intérêts», l’indice national de risque de désinsertion professionnelle en cours de développement connait de nombreuses «conditions de réussite», prévient l’Igas dans un rapport sur la prévention de la désinsertion professionnelle (PDP).
Cacher le visuel principal ?: 
Non
Type de produit: 
Produit d'origine: 
Auteur extérieur: 
Application immédiate: